Le pitch
László Tóth est un architecte en quête de rédemption, confronté à ses démons personnels alors qu’il cherche à concevoir un bâtiment audacieux qui défie les conventions. À travers son projet, l’architecte comme son commanditaires explorent les tensions entre ambitions créatives et les conséquences destructrices de l’ego humain.
L’analyse
Une fresque. Un panthéon. Beaucoup parleront de sa durée. Qui n’est, et qui ne devrait pas être, un sujet, dans la construction d’un récit, à l’heure du tout Netflix, et des kilomètres d’heures avalées, pour suivre la mythologie de son héros de fiction favori. Beaucoup parleront de sa scène d’ouverture, sombre, chaotique, sonore, de cris, de pleurs et de coups sourds, froissés, dont chacun espérait, ou pensait, qu’elle allait se conclure par la vision d’un four crématoire dans un camp d’extermination : non, ce sera la statue de la liberté, renversée, image d’Épinal écornée, chahutée ; la liberté en miroir, c’est l’aliénation : il n’y pas de nullité possible lorsque l’on est recraché par la bête qui nous a broyé : la Solution Finale.
L’essence. László Tóth (Adrien Brody) est hongrois. László Tóth est juif. László Tóth est un architecte que la guerre a broyé. Élève du Bauhaus à Dessau, fervent pratiquant du Brutalisme, László Tóth est un survivant rongé, renvoyé au monde ; à vide, à nu, écorché à vif. Rongé, mastiqué, rendu, que recueille les portes de l’immigration new-yorkaise, Ellis Island, forge d’un nouvel enfer.
Sa première expérience du nouveau continent, les relations tarifées, celle du capitalisme. Les opiacés, aussi, dont il use pour vaincre les collusions d’un nez douloureux, brisé dans les camps. Les chantres de la soumission. Le paradis n’était qu’illusion, le mirage américain, qu’une autre machine toute aussi infernale, plus sournoise, plus féroce. Passe la guerre, contraint par les armes, internés comme des millions d’autres : à Buchenwald pour lui, à Dachau pour sa femme, à Auschwitz pour les autres ; cette autre machine isole, rompt, casse, brise ; est un rouleau compresseur. Pour l’heure, l’inclinaison de Tóth pour le beau refait surface. Un généreux fils entend refaire le bureau de son riche père (Guy Pearce). Tóth s’impose et impose son style. Mais un malentendu, la condescendance des grands et la lâcheté des petits, ont raison de lui. Renvoyé, trahi, sans soutien, sans argent, sans logement. Retour aux humiliations ordinaires, à pelleter les gravats d’un chantier. L’hypocrisie du capitalisme brille ardemment : le riche père, prodigue, réapparaît, l’encense après l’avoir broyé, agite sous son nez cassé un dossier rempli de coupures de presse issus de magazines d’avant-guerre, vertigineuse mise en lumière des travaux architecturaux de Tóth. Le père qui n’y connaissait rien, par ignorance donc, n’avait guère perçu dans ce bureau restauré, l’essence du brutalisme et du design moderne : une épiphanie. Est-ce un départ ?
La Ligne claire. Le trait dépose dans un geste aérien une courbe que la main casse pour la fendre d’un angle droit. Au fusain. Tóth dessine, conçoit, perçoit. Et obtient du père, riche industriel, protection, gîte, projet de très grande envergure, celui d’élever un mausolée multimodal à la mémoire de sa défunte épouse, et l’assurance de revoir sa propre femme (Felicity Jones), encore retenue en Europe. L’entente avec le mécène est dans un premier temps très cérébrale, cordiale, respectueuse comme peuvent l’être les conventions. Mais la nature et l’engeance des êtres ressurgissent, le brutalisme des deux âmes, pour tracer les lignes sombres des fractures : les maîtres brutalisent, les plus fragiles subissent. Racismes, humiliations, comportements abjects, les soumissions se structurent, et les cycles se remémorent, les années défilent, cristallisées par ce phare qu’on a du mal à bâtir, temple gonflé par les fiertés de chacun. Ce mausolée monumental.
Une fresque de tous les traumas du monde. Une fresque sur l’Amérique et sur sa religion, érigée en panthéon, le capitalisme, fantasmé en héros opportuniste mais triomphal des régimes autoritaires, dernier né des démons qui broient, qui ordonnent et qui hurlent, à ses petits comme à Tóth, de cesser de mendier ; une fresque sombre, violente, épidermique, destructrice, viscérale, contre laquelle l’art comme la religion se brisent, avant d’en revêtir le même apanage : son brutalisme.
Film d’une force absolue, prototype, monde, construit sur, par et pour un récit total, qui restera, ancré, bien après son visionnage, The Brutalist est porté par ses dualités, ses comédiens, ses religions, ses couples, ses opinions, ses perspectives, son image, ses choix, et, principalement, par une passion dévouée et infinie pour le Cinéma. Ce Cinéma qui s’expérimente, vit et meurt, en salle. En Vistavision.
Meta

Date de sortie : 12 février 2025
Durée : 114 min
Genre : Drame
Réalisation et scénario : Brady Corbet, Mona Fastvold
Comédiens : Adrien Brody, Felicity Jones, Guy Pearce